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Mourir Mille Fois

C’est de ce que l’on a qu’on donne.

Écrire, c’est s’écrire, c’est donner de soi

Il est impensable de donner ce que nous n’avons pas, ce que nous ne sommes pas. Or, nous sommes la somme de ce que nous avons acquis, de ce que nous avons reçu, et de la manière dont nous les avons traités, gérés et digérés. Ce que j’écris, c’est ce que j’ai vu, entendu et lu, à ma sauce évidemment !

Youssoupha, a.k.a prince parolier, a.k.a lyriciste bantou, a.k.a… (bref ! il a beaucoup de surnoms ^^) est l’un de ceux qui ont positivement influencé mon sens artistique, l’une de ces figures qui ont alimenté mon envie d’écrire. Tout son génie peut, à mon humble avis, être compris par ce texte : “Mourir Mille Fois”, qu’il a écrit après la mort de son père.

Un montage magnifique, en effet. Mais ce ne sera ni ce montage, ni le son, bien qu’il soit beau et tout à fait digne d’intérêt, que je veux porter à votre attention. Gardez, je vous prie, tous vos sens sur ces mots, sur le texte de “Mourir mille fois”.

Contexte ? Youssoupha est l’un des nombreux enfants de Tabu Ley Rochereau. Youssoupha venait de se réconcilier avec son père à la suite d’une relation difficile due à l’absence de ce dernier. Et voilà que, quand ils se sont enfin rapprochés, son père passe l’arme à gauche. Face à cette peine, cet être cher qui lui est ôté, il se retrouve avec un sentiment avec lequel il a déjà trop flirté, celui de s’éteindre en même temps que ses proches… du moins qu’une part de lui meurt avec chaque proche fauché et produit “Mourir mille fois”.

En quoi est-il un génie ?

Je m’étale souvent car je ne sais pas faire simple. Pour moi, faire simple, c’est tronquer, or tronquer, c’est tromper ! Une demi-vérité vaut autant qu’un mensonge. Parce que tout n’est pas dit, parce qu’il y a du “mystère”, des faces cachées où toutes sortes de surprises peuvent se dissimuler !

Mais en 5 minutes, Youssoupha, dans ce chef-d’œuvre, décrit une palette d’émotions, toutes aussi complexes les unes que les autres ; pose des questions profondes, des questions qui poussent à la réflexion ; et au-delà de cet énorme travail d’esprit, ce texte est aussi un travail de cœur immense.

Et ceci, il le fait simplement et sans rien omettre.

Mais comment ? Brillamment !

En effet, ce n’est pas très explicite ou riche comme réponse. Je vous exposerai donc l’une des raisons pour lesquelles ce texte m’a particulièrement marqué.

La fluidité ! Sa musique est géniale et complète à bien des égards, mais c’est sur la fluidité de son poème que je veux braquer votre regard.

Chaque vers s’attache aux autres comme les pièces d’un puzzle et elles forment ensemble une image qui laisse ébahi !

Mais quelle fluidité ?

Afin d’éviter les paraphrases et pour soutenir mes propos, j’ai relevé 4 citations (relativement longues) de son texte censées montrer l’évolution de ses sentiments suite à la perte de son père.

(Je tiens à répéter que son texte est très riche, et que le résumer à une succession fluide de sentiments serait le tronquer. ^^)

“Puisque je brille quand tu brilles, alors je meurs quand tu meurs”

Ça veut dire quoi de dire d’autrui qu’il est un “proche” ?

C’est à cette question que le lyriciste bantou répond d’entrée de jeu. Un proche est celui avec qui tu es si connecté que ses succès deviennent les tiens, de même que ses échecs. C’est celui avec qui tu es si uni que son cœur parle au tien, au point que “toi” tu puisses ressentir ce que cet “autre que toi” ressent.

“Moi, j’ai perdu tellement de proches, j’ai l’impression de mourir mille fois”

Youssoupha n’a pas été gâté par la vie. La vie lui a donné son lot de citrons.

Il connaît le manque, la précarité, la dure réalité de la vie en banlieue. Il se fait même expulser, avec sa tante, ses cousins et lui. Au-delà des pertes matérielles et du manque, il subit la perte de sa mère peu de temps après son arrivée en France et survit à plusieurs de ses confrères. Je ne saurais pas énumérer le nombre de gens que la faucheuse lui a pris, mais il est sûr de dire “trop”. Tant qu’il a “l’impression de mourir MILLE fois”.

“Pourquoi la vie ne dit pas ce qu’elle coûte ? Pourquoi on a beau tuer le temps, mais c’est le temps qui nous enterre tous ?”

Youssoupha nous frappe. Après l’énonciation d’une réalité sinistre, il nous frappe avec une fatalité tout aussi réelle : on ne s’en sortira pas vivant ! Alors si on ne peut pas s’en tirer, quel intérêt a le “reste” ? La gloire ? La richesse ? L’éphémère… ? Il donne sa réponse à ces questions. À ces questions ouvertes. À ces questions ouvertes à vous ! Je vous laisse le soin de chercher ce que fait ce rappeur musulman face aux questions qui le tourmentent. (Attention !! Il y a un indice ^^… deux précisément)

“Les sacrifices nous rendent avisés. On ne sait pas vraiment de quoi on est fait tant que l’on n’est pas brisé.

Mais on se relève toujours, tu le vois. Même si perdre tant de proches donne l’impression de mourir mille fois”

Et c’est là que le chef-d’œuvre aboutit ! C’est la phase terminale de son mal ! Il est contraint à avaler des pilules de souffrance, des pilules qui lui brisent le cœur, des pilules qui le meurent. Mais ces cachets ont des effets secondaires. En effet, le mal et le manque qu’ils laissent ne partent jamais avec le temps. Au contraire, on se cache et l’on évite ses blessures, on joue au fort… on devient fort.

À chaque frère, sœur, parent, ami, proche qui nous est ôté, à chaque fois que le manque qu’il laisse s’agrandit, on redécouvre ce qui reste.

On apprend à voir vraiment de quoi l’on est fait et à chaque nouvelle chute, même sans s’en remettre, on se relève et avance pour ce qui reste ; pour soi et pour les autres, pour ses passions, son art, son Dieu, etc…

Là encore, la question est ouverte : à vous de voir pour qui, pour quoi vous devez vous lever et avancer.

Et de son lot de citrons, il fait de la limonade, de la glace au citron, de la tarte au citron et même des gâteaux au citron !

“Mourir Mille Fois” ne pouvait pas mieux porter son nom.

On découvre dans ce texte, hormis un talent certain pour l’écriture chez Youssoupha, une douleur sincère, une fatalité réelle et une forte note d’espoir.

Ce thème, soit la peine qui revient inévitablement à chaque proche qui paie la facture, est traité magnifiquement bien. On retrouve dans le texte l’auteur et ses pensées, mais plus encore, on s’y identifie.

Et sa manière de répondre à ses questions en les laissant ouvertes, pour que chacun cherche et trouve ses réponses à ces questions dites profondes, tient du génie. Je vous encourage à découvrir les autres titres de cet artiste et à vous faire votre propre avis sur sa musique. Il “fait des classiques dans une époque où le Hip-Hop est un produit périssable” ^^.

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